| Clair de Lune {LIBRE}  Sujet: Clair de Lune {LIBRE} Sam 29 Déc - 20:02 | |
| Elle avait toujours cette impression étrange quand ses doigts jouaient tout seuls un morceau qui ne lui était que vaguement familier sur le clavier de cet immense piano. C'était comme si quelqu'un d'autre prenait le contrôle de son corps et qu'elle, victime d'une strangulation sauvage, était étendue par terre et forcée d'écouter la musique. Une jolie musique, certes, mais c'était étrange quand même, de s'abandonner à ce point à ses instincts, ses réflexes enfouis au plus profond d'elle, tout les jours pendant plusieurs heures - avec Julia, la procrastination n'était pas au programme.
Il était un peu plus de 18h. Elle avait terminé sa journée de travail et comme à l'accoutumée, elle s'était faufilée tel un ninja dans la salle de musique pour s'écorcher les doigts sur les touches de son instrument préféré. Non pas que cela fut interdit, mais elle ressentait toujours une certaine gêne à squatter ainsi une pièce d'abord destiné aux élèves. Enfin bon, il fallait ce qu'il fallait. Elle n'avait vu aucun autre piano dans tout Espérance. Jouer au guerrier japonnais était donc sa seule chance de pouvoir profiter de la musique qu'il produisait. Elle aimait tellement faire chanter l'instrument. Sa voix pure l'a rendait heureuse. C'était comme une drogue, sa nicotine personnelle. Une bulle s'installait ainsi autour de Julia, une bulle qui la coupait du monde, qui la coupait des autres. Une bulle prête à éclater à tout instant. Les notes glissaient sur elle comme sur une bulle de savon. Tendre harmonie, tendre équilibre.
Plop. Trop beau pour durer. Une mauvaise note. Julia se fige. Ses doigts se paralysent. La bulle éclate. Dans son cerveau, les mécanismes s'enclenchent. Sans qu'elle ne puisse faire quoi que ce soit contre ça, les larmes commencèrent à couler sur ses joues. La partie raisonnable de son cerveau essayait tant bien que mal de la rassurer, de lui dire que ce n'était pas grave. La partie la plus importante de l'entité supérieure, la partie un peu folle et complètement malsaine, commençait déjà à lui susurrer des mots cruels à l'oreille. Julia, de toute façon, n'entendait que les choses méchantes, les choses qui faisaient mal. Et ses doigts, mouillés par les larmes qui tombaient en cascade de ses yeux, s'acharnaient sur son piano. A présent, tout ce qui sortait de l'instrument lui paraissait médiocre, laid, pathétique. Elle avait du mal à respirer. Elle était entrée dans un cercle vicieux dont elle ne pourrait pas ressortir sans aide. Dans son esprit malade, la perfection était l'unique objectif, peu lui importait la souffrance. Ses doigts commençaient à lui faire mal. Tant pis. Elle plaquait les accords avec tant de violence qu'ils en devenaient vraiment affreux.
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