La jeune fille en avait marre du blabla de l’internat, en avait marre de rester seule en restant des couples se papouiller ou encore d’autres en train de rire au point de déchirer les tympans. Pour elle c’était tout ce dont elle ne voulait pas. Alors elle s’était levée et avait quitté ce petit bâtiment pour se balader, et peut-être rendre fous quelques personnes ...

Je marche sans pouvoir m’arrêter. Je trouve cet endroit tellement magnifique… Bien que je me sente perdue entre tous ces gens plus âgés que moi. Plus âgés parce qu’ici dans le Bourg ils s’occupent d’eux à merveille. Ils sont autonomes ; grands et forts. Je ne sais pas si un jour j’arriverais à atteindre cet endroit de mon propre gré. Que serais-je sans personne pour m’aider à surmonter mes peurs ? Eh bien je ne serais absolument rien, je resterais seule à jamais, ou presque…
Je regarde autour. Je mets un pied devant l’autre en admirant le paysage. Je me sens mal dans mes petites baskets, mon short écossais (rouge et noir) et mon débardeur un peu large. Mais je n’avais pas envie d’être la star des podiums, encore moins ici ! Autant éviter les talons, je ne veux pas être prise pour une fille qui se la joue pour plaire. Moi ce que je veux c’est quelqu’un pour m’aider, pas quelqu’un à qui je plairais et vice versa.

J’arrive devant un édifice étrange. Oups… Un édifice religieux ! Je n’ai pas de religion précise et pourtant je me surprends à m’arrêter devant en souriant. Je vais peut-être faire la bêtise la plus farfelue du mois ! Mais il faut que je réfléchisse… Tiens, des marches ! Je m’assois dessus et pose mon coude sur mon genou pour y poser ma tête. J’observe ceux qui passent sans un mot. Je pense que si on veut me parler on me parlera. D’ailleurs j’ai peut-être une idée ! Je regarde ceux qui ont leur visage couvert. Je tire un sourire malicieux et me lève, prête à l’attaque. Il faut juste que je sois rapide, maligne et agile. Sauf qu’au moment où je veux me mettre à courir je me cogne à quelqu’un. Un jeune homme en fait. Alors je recule d’un pas pour m’assoir à nouveau en le fixant. Un peu du genre « non tu ne m’as pas surpris à faire une jolie bêtise, du tout ! ». Mais en fait... C'est Elloy ! Je viens juste de remarquer que celui que j'ai bousculé c'est Elloy. Je crois que la prochaine fois je vais essayer de réagir rapidement...

Je reste assise et souris légèrement en lui lançant un petit "Bonjour!" bien trop aiguë à mon goût.

Le soleil était là, les oiseaux aussi, c'était une belle journée quoi. Mais j'avais pas trop le moral, depuis l'histoire de la cocotte déplumée. Ça faisait déjà quelques jours que j'étais resté soit à veiller l'indien soit à couver mon oreiller bien chaudement contre moi. Je devais avoir une sale gueule, parce que depuis cette histoire, je voulais pas dormir. J'évitais les reflets. J'étais devenu parano et c'était mes coloc' de chambre qui m'avaient éjecté dehors comme un malpropre. J'avais pas d'autres choix que d'aller faire un tour.

Je marchais la tête rivée sur le sol, regardant la terre, les graviers, le sable, et les pavés défiler les uns après les autres sous mes pieds. Les mains dans les poches de mon jean un peu tombant, j'avais l'air d'un gueux, surtout que mon trop grand t-shirt blanc était tout chiffonné. Bon ok, j'avais juste dormi avec...Mais flemme de me faire beau. Je me sentais mal quoi. Et je m'en voulais de me mettre dans cet état à cause de "lui". Il le méritait pas. Il avait juste mérité ce qu'il avait eu. Et merde...

Sa phrase revint dans mon esprit mais s'envola vite parce que je venais de me faire percuter par un chimpanzé à l’arthrose ou à la vue douteuse. Je haussai un sourcil et tournai la tête vers une fille. Ah, Rhine. Je voulais voir personne, mais me revenaient en tête les paroles de Lach' comme quoi fallait que je sorte. Il était marrant lui. Mais bon, puisque je ne faisais rien, autant qu'elle devienne mon occupation.

Je lui rendis faiblement son sourire.

"Salut... " Je fis la moue en la voyant sourire comme une huître fière d'avoir coincé le doigt d'un débile. "T'as pas fait de connerie, hum ? Sinon je devrais te punir ♥"

Il me rend son sourire, en me rendant aussi mon bonjour et une p’tite phrase en option :

"T'as pas fait de connerie, hum ? Sinon je devrais te punir ♥"

Je me levais alors pour le serrer dans mes bras un court instant, histoire de le rassurer. Nan, je n’avais pas encore fait de bêtise. D’ailleurs je lui chuchotais à l’oreille :

« Je t’attendais pour ça ! »

Je souriais, contente de voir qu’il était arrivé au bon moment. Je lui donnais un léger coup sur l’épaule en demandant si je lui avais fait mal en lui fonçant dedans, bien que j’en doute. Je suis frêle mais il est costaud donc ça devrait le faire. Au pire il s’en remettra très rapidement ! Alors j’le regarde en songeant. Je ne vois pas quelle connerie on peut faire. Pourtant y’en a plein qui tournent dans ma tête ! Dévoiler une femme voilée, entrer dans le lieu de culte et au lieu de faire le silence gueuler, s’emb… Euh non rien. Rien rien rien ! Je ne voulais pas penser ça ! En fait j’pourrais pas le faire… Juste par principe que c’est un pote quoi. Oui juste un pote avec qui je fais des conneries ! Oké ? Capiche là-dedans ? Bien, maintenant je vais changer discrètement de pensées car je suis en train de sourire comme la pire des abruties du Monde en regardant mon ami. Simplement ami. Je reste là à le fixer en réfléchissant. J’sais pas s’il a parlé, on verra bien sa réaction dans quelques minutes. Au pire hein, il comprendra bien non ? J’suis souvent perdue dans mes pensées comme ça. J’espère seulement ne lui avoir fait pas trop peur en le fixant droit dans les yeux sans cligner des paupières. En plus je ne suis même pas gênée, je crains. Telle une petite gamine aux couettes blondes (sauf que moi c’est blanc) en train de bader devant une boutique de bonbons. Sauf que la boutique de bonbons c’est Elloy donc ça marche pas. Et forcément j’explose de rire en me pliant en deux. Ça y’est, je suis la folle ! La pure folle prise pour une folle. Je rigole sans m’arrêter, les larmes aux yeux et j’me laisse tomber sur le sol. Je veux pas faire de honte à mon pote non, mais c’est plus fort que moi ! Une boutique de bonbons ! J’ai l’air de quoi ? En tout cas j’ai du mal à me calmer. Je rigole encore sans reprendre mon souffle, affalée sur les dalles beiges.

« Je t'attendais pour ça »

Ah bah... je m'en doutais en peu en fait. J'aurais pu réfléchir un peu avant de poser la question. Rhine n'est pas très mystérieuse, quoique. Elle était en train de me scruter, ni plus ni moins. Avec ses deux yeux accrochés à ma face comme si j'avais un truc sur la gueule ou...
Je détournai la tête de toute manière, plus ou moins gêné, j'aimais pas qu'on me dévisage de la sorte, j'aimais pas être l'objet scruté. Adulé et vanté oui, mais pas analysé ou je ne sais pas quoi. Je soupirai puis haussai un sourcil alors qu'elle était morte de rire au sol telle une gueuse. Je comprenais encore moins ce qu'il se passait là, parce que bon, autant le dévisagement pouvait venir du fait que je m'étais fringué tel un paysan sorti de sa cambrousse, autant le fait de la voir rigoler à ce point, je voyais pas pourquoi. Alors je la laissai jusqu'à ce qu'elle finisse. En temps normal, je l'aurais fait encore plus rire, pour qu'elle se tape bien l'affiche, mais là...là maintenant en ce moment j'avais pas envie de me foutre la honte sur elle, en fait j'avais pas trop envie de rire tout bonnement. Parce que ce que j'avais fait était horrible, que je méritais pas le bonheur, je méritais pas de rire et de faire encore comme si.

Je me passai une main dans les cheveux et allai m'asseoir sur les marches près du lieu de culte, ramenant un jambe contre moi, l'encerclant de mes bras. Je la regardai encore, pour voir si elle avait fini de mourir puis repris doucement :

« Hum...Et tu veux faire quoi Rhine ? J'ai pas d'idées, et comme toi tu en as toujours pleins... »

Je soupirai encore et lui offris quand même un tout petit sourire avant de ramener l'autre jambe contre moi. « Au fait, t'avais quoi à rire comme ça ? J'suis moche ?.... »

Je posai la question par simple précaution en fait, pour m'assurer qu'au final...j'étais pas laid... pas de l'extérieur en tout cas. Je fermai les yeux quelques instants. « Dis Rhine...non rien en fait »
Je fis un geste rapide de la main comme pour balayer mes paroles idiotes et inutiles puis haussai les épaules. « Aller...tu veux faire quoi aujourd'hui hum ? »

Les paroles se bousculaient dans sa bouche alors qu’il allait s’assoir bien gentiment sur les marches un peu plus hautes. J’ai peur de l’avoir vexé… D’ailleurs il voulait dire un truc mais s’est retenu, pourquoi ? J’me sens coupable d’avoir ri comme une andouille là. Alors je me lève et viens m’installer à côté de lui. Je pose gentiment ma tête sur son épaule en lui prenant le bras. Je refuse de voir quelqu’un triste.

-Nan t’es pas moche t’en fais pas.

Je regarde en face sans bouger. En fait je pense. Qu’ai-je envie de faire ? Je ne sais pas. Enfin, pas vraiment. On pourrait faire un gros truc interdit par la loi ? Si y’en a une, parce que j’fais pas forcément attention. Y’a tellement de choses à faire ici. Tellement…

-J’avais pleins d’idées mais ça me décourage de te voir dans cet état El’. Mais tu voulais dire quoi ?

Je retire ma tête de son épaule et le regarde. Et puis je le lâche en me relevant aussi. Y’a pas grand monde ici, c’est assez calme à ce que je remarque. Je saisis nerveusement la chaine autour de mon cou, attendant la réponse de mon ami. Je me rassois près de lui parce que je n’ai rien de mieux à faire.

Avoir peur ? C’est possible. Avoir tout le temps peur ? Possible aussi. Mourir de peur ? Ce sera possible oui. Bien là ma peur reprend le dessus, je me trouve un peu trop tendue sur le coup, au point de me mordre la lèvre inférieure. Je ne peux pas lutter contre ça, je n’y arrive pas. Je saigne… Goût métallique dans ma bouche. Goût étrange impossible à avaler. On dirait que mes dents sont pointues alors que non. Je ne tarde pas à me lever en forçant Elloy à faire de même. Je lui attrape la main, la bouche fermée, et l’entraine dans le lieu de culte en courant. Mes chaussures mettent un peu de terre partout et je me dirige vers les toilettes, de femmes, évidement. Sans réfléchir j’entraine mon pote dans ma course. Il se retrouve avec moi aux toilettes. Certaines femmes se mettent à hurler d’horreur. Là je me rends compte en rinçant ma bouche que je viens de faire une énorme connerie sans le vouloir. En plus le sang que je recrache colore un peu l’évier blanc. Je n’ai pas lâché la main d’El’, parce que j’ai pas eu ce réflexe.

Je reste un peu penchée au-dessus de l’évier, m’appuyant de mon autre main sur le bord et je m’observe dans le miroir en face. J’ai l’air fatiguée et dépressive en fait. J’ai le teint un peu plus blanc que d’ordinaire. Aussitôt le mot « vampire » résonne dans ma tête alors que ma lèvre saigne toujours. D’un geste vif et rapide je lâche cette fameuse main et repasse mes lèvres sous l’eau.