Et les gouttes tombaient doucement, sur le nez d'Alice. C'était une symphonie répétitive, incroyablement sereine, et la gamine ne prenait pas le temps d'essuyer la pluie qui perlait sur son visage, et ses cheveux qui devenaient peu à peu plus qu'humides. Elle était plantée dehors, à laisser ses pensées vagabonder tandis que ses mains fourrageaient dans l'argile boueuse. La terre se glissait sous ses ongles, mais pour une fois, la fillette avait choisi de ne pas salir sa robe blanche, toute simple, qui ressortait clairement dans le paysage grisâtre et pluvieux. C'était une petite vanité enfantine qu'elle s'autorisait pour une fois, une sorte de petite réflexion inconsciente, qui lui permettrait de se persuader qu'elle croyait encore en quelqu'un, car si on lui faisait remarquer qu'elle était crasseuse, elle pourrait alors répondre avec un léger orgueil que non, sa jolie robe était bien propre, et comme Bird serait fier d'elle !

La vérité était certes beaucoup plus complexe, beaucoup plus embrouillée, et même si Alice ne comprenait pas où cela menait, quelles étaient les causes et d'autres détails, ni même comment cela était-ce possible, c'était une réalité : elle ne faisait plus confiance au Directeur, et lorsqu'elle pensait à lui, quelque chose d'indicible la prenait à la gorge. Plus précisément, elle n'était plus à l'aise nulle-part, et les moments de bonheur lui semblaient soudainement bien lointains. Chaque nuit, la petite enfant sauvage allait dans le Reflet, marchant sans but, recherchant, peut-être, le spectre d'une utopie disparue où finalement, malgré son intégration difficile, elle se sentait bien. Seulement, où était-elle passée, la-dite utopie ? Perdue, perdue et tombée dans l'oubli. Quelque chose était pourri, à Espérance, désormais... Même Alice en avait plus ou moins conscience.

La fillette se leva, abandonnant sa position assise. La pluie tombait toujours, mais moins puissamment qu'auparavant. Décidant finalement de trouver une autre occupation, car elle commençait à s'ennuyer, l'enfant tendit ses bras en l'air, recueillant les gouttes de pluie pour laver ses mains toutes boueuses. Elle resta un moment ainsi, de longues minutes languissantes, comme cette journée silencieuse et morne où chacun avait décidé de rester chez soi. Puis ses pas l'emmenèrent tranquillement jusqu'au potager de Bird, parce que c'était ainsi, et ses yeux se posaient avec attention sur toutes choses, bien que son visage fut le plus neutre imaginable. Malgré le fait qu'elle observait tout ce qui constituait son environnement, Alice finit par se passionner pour le vol d'un insecte qu'elle ne connaissait pas, et le suivant, elle ne faisait pas attention à la direction, ni aux obstacles qu'elle pouvait rencontrer.

Sa marche l'emmena jusqu'à l'intérieur du potager, où elle trouva Arthur. Du moins, plutôt que de le trouver, elle s'effondra sur lui, faute de ne pas l'avoir remarqué avant. Surprise, elle ne manqua pas, instinctivement, de se lever prestement et de faire volte-face, pour se retrouver devant un gamin plus jeune qu'elle. Alice n'était pas habituée à parler, et pourtant il lui fallait bien s'excuser. C'était encore une enfant, mais une enfant douce et, bien que sauvage, d'une gentillesse remarquable. Elle s'attendrit en voyant les escargots que le garçon essayait de récolter avant qu'elle ne le bouscule.

« Oh, pardon » balbutia-t-elle d'une petite voix, effarée.

La fillette constata qu'à cause de sa chute, sa robe était quelque peu tâchée, mais elle n'en fit pas grand cas, habituée qu'elle était à se salir puisqu'elle passait la majeure partie de son temps dehors. Le garçon à la tignasse blonde, en revanche, avait beaucoup plus souffert de s'être fait percuter par son aînée, et de la boue maculait son visage, cependant Alice remarqua sans peine les jolis yeux que le garçon avait : l'un doré, l'autre rouge. C'était vraiment caractéristique.