Aujourd’hui, Bird m’a donné un paquet et m’a dit « Tiens, c’est pour toi ». J’ai ouvert le paquet et dedans il y avait ça, un carnet. Il m’a dit que je pourrais écrire ce que je voulais dedans. Même des insultes. Même des choses qui ne voulaient rien dire. Je crois que je n’ai pas grand-chose à dire, moi. Mais là, comme Narcisse peint et que moi je n’ai rien à faire, je me suis dit pourquoi pas. Juste ça, pourquoi pas. J’ai décidé de nommer mon carnet : « Journal de Flocon » parce qu’ici c’est vrai tout le monde m’appelle comme ça.

Je suis sur mon bureau, à côté de l’armoire. Il est petit et en désordre, mais j’ai de la place pour écrire. J'ai pris mon stylo bleu. Il fait beau. Narcisse peint le soleil. Avec le soleil, sa peau a l’air encore plus blanche. Tout à l’heure, j’ai agité un ciseau devant lui et il a eu très peur, alors je me suis senti coupable et je suis parti loin. Je n’ai pas pris le vélo. Des fois, je fais du mal, je ne fais pas exprès mais je fais du mal. Ce n’est pas que je n’aime pas faire du mal, c’est juste que ce n’est pas ce que je voulais. Je n’ai pas demandé à Narcisse de m’excuser, je suis revenu deux heures plus tard et il peignait. Je suis allé au bureau, et je n’ai rien dit, et lui non plus. Je mets des tâches partout, j’écris mal, il faut m’excuser. Je suis trop maladroit. D’ailleurs, Narcisse peint mieux que moi.

Cette nuit, cauchemar, pipi, et tout le reste. Narcisse ne m’a rien dit. Je ne dis rien quand il a peur de mes aiguilles, il ne dit rien quand il voit les tâches sur mon pyjama. Je me demande s’il en parle aux autres, Arthur, Lachlan, Résine et tous les autres, mais je crois que non. Personne ne me dit rien, à part à l’école des fois. C’est surtout les plus jeunes. Je parle beaucoup de Narcisse, je sais, parce que c’est mon colocataire. Narcisse est arrivé après moi, et j’avais peur de lui, c’est vrai, mais Narcisse il ne fait pas peur. Il a les yeux très bleus.

Les autres, je ne sais pas s’ils font des cauchemars comme moi. Je ne sais pas s’ils font des rêves en dehors du Reflet. Le Reflet, je ne sais pas d’où ça vient. J’ai un frisson quand j’en parle. Je sais que je dois y aller, parce que je dois trouver une clef. Quelque chose qui ouvre quelque chose. Je ne sais pas bien. Mais c’est très dur. Ça me donne beaucoup d’angoisse. J’y vais quand j’ai le courage. Ce que je préfère, c’est quand je croise des gens d’ici. Comme Résine. Avec Résine, c’est drôle, on ne se parle presque pas, mais j’ai l’impression qu’on se dit plein de choses. Je crois que Résine a failli passer de l’autre côté. Mais ça, on n’en parle vraiment pas.

Ça fait longtemps que je n’ai pas vu le fantôme du petit garçon. La dernière fois, c’était en me réveillant la nuit. Je n’ai pas crié parce que j’aurais réveillé Narcisse. Je n’ai pas parlé à Narcisse du petit garçon, parce que j’ai peur que ça détruise notre amitié. Il se dirait sûrement que je suis fou et il aurait peur. Je crois que je suis le seul à le voir. Des fois, je voudrais en parler à quelqu’un, je voudrais qu’on m’explique ce qui se passe. Mais je n’y arrive pas. Parfois j’ai vraiment l’impression que le monde est une grande tornade, et moi je suis au milieu.