"Wake me up before you go go... ♪"
J'ignorais pourquoi, mais j'avais cet air dans la tête depuis ce matin. En me levant, il m'était venu en tête et je l'avais chanté tout le temps de me préparer, de la douche au moment du petit déj. Vous me direz, chantonner avec des céréales dans la bouche n'est pas très pratique. Donc pour une raison logique, j'ai simplement fait les notes à coup de "mmh" en remuant les épaules.
Même en sortant, j'avais toujours cet air en tête. Aaah la malédiction de l'air qui ne vous quitte pas. Enfin, malédiction relativement supportable, n'est-ce pas ? Pour ma part, la musique, même présente dans mon seul esprit, me donne de l'entrain, surtout lorsque le temps est maussade comme aujourd'hui. Que de nuages à l'horizon, voilà qui pourrait m'ennuyer, mais la pluie est une étape, il ne pourrait pas toujours faire beau après tout.
Et s'il se mettait à pleuvoir, je pourrais finalement chanter "I'm singing in the rain" avec mon para...

J'avais oublié mon parapluie. Je n'avais plus qu'à prier pour qu'il ne se mette pas à pleuvoir précipitamment. Je flânais dans les rues et ruelles du bourg d'Espérance. J'aimais ce côté à la fois agité et serein d'une matinée en ces lieux. Je marchais au milieu de la rue les mains dans les poches de mon pantalon marron, mon pull rouge tombant dessus nonchalamment. Soudain, une odeur sucrée vint titiller mes narines. D'abord écœuré en voyant une image de crêpes affreuses se précipiter dans mon esprit, je finis par entrer dans la boutique par curiosité. Comme un coup du destin, j'entendis l'orage éclater derrière moi juste après que je sois entré. Je me retournai pour voir des trombes d'eau se déverser par la fenêtre.
- En voilà une matinée qui commence bien... dis-je avant de me retourner vers le boulanger. Ha ha, on va devoir passer un peu de temps tous les deux je crois, j'ai pas de parapluie.

Je m'approche de la vitrine des pâtisseries. Évidemment qu'il n'y a pas de crêpes, c'est pas le genre de truc qu'on fait dans une boulangerie. Je levai les yeux au ciel en pensant qu'évidemment, c'était plutôt dans les crêperies. Je me rapprochai du boulanger et posai mon coude sur le comptoir.
- C'est géant ces trucs, et ça a d'la gueule. Tu fais tout ça tout seul ? J'aimerais bien savoir faire ça aussi. T'as appris sur le terrain ou tu savais déjà avant ? J'ai jamais appris moi j'crois. En plus je comprends rien au four, thermostat 7, 8, 9 ? Comment on sait lequel on doit mettre ? C'est vrai quoi, j'trouve que les bouquins de cuisine aident pas vraiment, j'en ai deux mais je comprends rien. Peut-être qu'il faudrait que je commence par les recettes faciles ? Rah, qu'est-ce que t'en dirais toi, le pro ?

Il me regardait sans me répondre. Ah... J'ai cette manie de toujours parler en oubliant l'essentiel...
- Oh, désolé ! m'excusai-je en lui tendant une main amicale. Moi c'est Noah.

Étrangement, il ne répondait pas oralement. Je réfléchis un instant et il me revient en mémoire des brèves de comptoir au sujet d'un boulanger muet. J'avais totalement oublié ce détail moi.
- Ah ! T'es muet c'est ça ? J'avais totalement zappé ça ! C'est comme la petite Magena en fait. C'est cool ! Enfin bof mais j'veux dire, c'est pas dérangeant. Faut dire que comme j'suis jamais venu acheter de pain, j'ai jamais pu m'en rendre compte par moi-même. Ah ! En parlant de ça, je vais prendre une baguette et... et...

Je me décalai à nouveau et me baissai sur les pâtisseries. Que prendre ? Il y avait tellement de gâteaux. Aucun de ces noms ne me parlait. J'en avais vu certains en photo dans mes bouquins de cuisine mais à vrai dire... je n'avais aucune idée du goût qu'ils avaient. Je fis une moue interrogatrice et me relevai sur Rei.
- Je sais pas, à ton avis, qu'est-ce que j'devrais prendre ?

Encore une journée nuageuse... Rei n'aimait pas ce genre de temps : c'était une menace envoyée par le ciel, la menace que la pluie tombe. Quand il pleut, personne sors et si personne sors, même pour une baguette, ça faisait des clients en moins donc des sous en moins et SURTOUT plein de pâtisseries qui ne seront pas vendues. Rei allait encore devoir faire de la distribution gratuite : il avait horreur du gâchis. C'est pour cette raison qu'il a moins produit que d'habitude.

Comme il s'y attendait en regardant par la baie vitrée de sa boulangerie : presque personne dehors. Eux aussi, ils sentaient que le temps allait vite se dégrader et par conséquent ils se grouillaient de faire ce qu'ils avaient à faire comme partir au travail ou faire leurs emplettes. Et le pain et patisserie, c'était un plaisir tout ce qu'il y avait de plus secondaire... et puis qui aurait envie de passer une minute avec un boulanger muet ?

Peut-être y en avaient-ils finalement encore un ou deux car un blondinet entra en trombe dans la boulangerie... et comme s'il était la promesse d'une malédiction, l'orage éclata à peine fut-il entré. Voila une apparition digne d'un film d'horreur.

« En voilà une matinée qui commence bien... Ha ha, on va devoir passer un peu de temps tous les deux je crois, j'ai pas de parapluie. »

Rei lui sourit aimablement.

Mon pauvre, d'ici quelques minutes tu préféreras repartir sous la flotte.

Le client s'approcha alors du comptoire et observa chaque article.

« C'est géant ces trucs, et ça a d'la gueule. Tu fais tout ça tout seul ? J'aimerais bien savoir faire ça aussi. T'as appris sur le terrain ou tu savais déjà avant ? J'ai jamais appris moi j'crois. En plus je comprends rien au four, thermostat 7, 8, 9 ? Comment on sait lequel on doit mettre ? C'est vrai quoi, j'trouve que les bouquins de cuisine aident pas vraiment, j'en ai deux mais je comprends rien. Peut-être qu'il faudrait que je commence par les recettes faciles ? Rah, qu'est-ce que t'en dirais toi, le pro ? »

On pouvait reprocher à Rei de ne pas faire d'effort pour parler, mais ce mec là on pouvait lui faire la reproche inverse : en 10 secondes, il a débité plus de mots que Rei n'en débitera jamais de toute sa vie à Espérance. Apparemment, il avait pas l'air de savoir quel était le problème du boulanger.

« Oh, désolé ! Moi c'est Noah. »

Rei serra la main que le dénommé Noah lui tendit avec la certitude qu'il n'en avait pas fini.

« Ah ! T'es muet c'est ça ? J'avais totalement zappé ça ! C'est comme la petite Magena en fait. C'est cool ! Enfin bof mais j'veux dire, c'est pas dérangeant. Faut dire que comme j'suis jamais venu acheter de pain, j'ai jamais pu m'en rendre compte par moi-même. Ah ! En parlant de ça, je vais prendre une baguette et... et... »

Rei attrapa une baguette et attendit la suite. Il ne connaissait pas la dénomée Magena mais en tout cas, il savait que ce n'était pas « cool » d'avoir peur e parler. Enfin, il pouvait bien pardonner à ce moulin à parole une petite bourde comme ça.

« Je sais pas, à ton avis, qu'est-ce que j'devrais prendre ? »

Ah c'était à lui de choisir ? Rei attrapa un papier et un crayon et entama sa réponse avant de le lui tendre.

« Je ne vous connais pas assez bien pour décider à votre place. Si vous avez les moyens et aimez les fruits, il ya les tartelettes. Si vous préférez le chocolat, il y a le brownie ou le napolitain... et si vous préférez économiser, prenez un chausson au pomme ou un pain au chocolat. »

Voila. Si avec ça il parvenait pas de se décider...

En matière de pâtisserie, je savais mes connaissances limitées, et ce fut confirmé lorsque le boulanger me tendit son bout de papier.
« Je ne vous connais pas assez bien pour décider à votre place. Si vous avez les moyens et aimez les fruits, il y a les tartelettes. Si vous préférez le chocolat, il y a le brownie ou le napolitain... et si vous préférez économiser, prenez un chausson au pomme ou un pain au chocolat. »

Je pouffai de rire. Il avait dû se tromper. Gentiment et en tachant de ne pas le vexer, je lui montrai son papier à nouveau.
- Euh, t'as dû te tromper. Tu sais que t'as écris "chausson aux pommes" ? Ha ha. On peut pas manger un chausson enfin ! Enfin... je crois pas.

Je regardais à nouveau son petit mot. Si j'avais les moyens ? Je pensais les avoir. Et j'aimais les fruits également. Et j'aime le chocolat aussi, depuis que je suis arrivé à Espérance j'ai pu en manger beaucoup, c'est délicieux ! Brownie ou napolitain ? Je ne savais pas quoi choisir, et j'avais énormément de mal à mettre des images sur ces noms. Finalement, je le regardais simplement en souriant.
- Je prendrai tout ce qu'il y a sur ton papier, pour goûter. Et si c'est bon je reviendrais peut-être t'en prendre !

Je le regardais mettre les pâtisseries dans une boîte. Il y en avait pas mal, je ne savais même pas si j'allais pouvoir tout manger tout seul. Je me retournai pour regarder le temps qu'il faisait et la pluie ne semblait pas vouloir s'arrêter. Je soupirai.
- La pluie est pratique mais sortir par ce temps est déprimant.

Tout en prenant la boîte que le pâtissier me tendait, je réfléchis un instant à la situation et la finalement la reposai sur le comptoir. Il m'était venu une idée drôle, si drôle que je laissai échapper un petit ricanement en posant mes mains sur mes hanches d'un air satisfait.
- Comme il pleut, on pourrait les manger tous les deux, qu'est-ce t'en penses ?

Rei tendit sa réponse au jeune homme qui le lut et... rit ?

« Euh, t'as dû te tromper. Tu sais que t'as écris "chausson aux pommes" ? Ha ha. On peut pas manger un chausson enfin ! Enfin... je crois pas. »

Bon... apparemment, monsieur ignorait ce qu'était un chausson aux pommes, ça commençait bien.

« Je prendrai tout ce qu'il y a sur ton papier, pour goûter. Et si c'est bon je reviendrais peut-être t'en prendre ! »

T... tout ? Tout ce qu'il a indiqué ? Le napolitain, le brownie, les tartelette, le chausson et le pain au chocolat ? Bah punaise, si Rei avait su il aurait mit plus. Enfin, rien qu'avec ça il allait vendre plus que ce qu'il aurait imaginé alors il pouvait pas se plaindre.

Rei emballa chaque patisserie et les rangea dans une boite en carton qu'il utilisait généralement pour les grosses commandes comme celle-ci et la posa sur le comptoir avant de marquer le prix total dessus.

« La pluie est pratique mais sortir par ce temps est déprimant. »

En effet, ça tombait dru dehors. Rei a bien fait de tout mettre dans une boite, ça protégera la patisserie de l'eau. L'homme prit la boite... puis la reposa avec un sourire. Qu'est-ce qu'il a encore prévu ce gars ?

« Comme il pleut, on pourrait les manger tous les deux, qu'est-ce t'en penses ? »

Rei observa l'homme comme s'il venait de voir un fantome. Il était sérieux la ? C'était la première fois qu'il voyait ça : jamais un client ne lui avait proposé une pâtisserie qu'on venait de lui acheter. Rei attrapa un papier et un crayon avant de lui tendre une réponse.

« Vous êtes vraiment le premier à me proposer ça. Enfin, moi ça me dérange pas de grignoter ce que vous venez d'acheter. »

Et puis, le gars avait beau être un moulin à parole, ça semblait quand même être un brave gars.[/color]

« Vous êtes vraiment le premier à me proposer ça. Enfin, moi ça me dérange pas de grignoter ce que vous venez d'acheter. »
Je riais de bon cœur en lisant cela. Pourquoi ? Mmh. Je pense que je prenais ça pour une sorte de compliment. Je voulais bien croire que j'étais le premier à proposer ça, et du coup, ça faisait de moi quelqu'un d'atypique, non ?
D'un geste vif, je récupérai la boîte en indiquant d'un mouvement de tête à mon nouvel ami de me rejoindre de l'autre côté du comptoir. On allait quand même pas rester chacun d'un côté ! Je m'assis en tailleur et posai la boîte devant moi, par terre. Puis d'une main je vins claquer le sol à ma droite pour indiquer au boulanger sa place. Depuis le sol, il me paraissait drôlement grand d'ailleurs, mais c'était sûrement ce que l'on appelle un effet de perspective.
J'ouvris la boîte et inconsciemment prit un air surpris comme si je redécouvrais son contenu. Je la fis glisser vers mon camarade.
- Vas-y, à toi l'honneur !

Mes yeux étaient instinctivement attirés vers les pâtisseries de couleur brune. Le chocolat, rien qu'en y pensant j'avais envie de baver. Les céréales que je mange parfois le matin sont de cette couleur et sont délicieuses ; la boîte se vide d'ailleurs plutôt vite. Je pris alors le gâteau le plus brun de tous.
- Et celui-là, c'est quoi ? lui demandai-je. Ah, attends !

Pour lui faciliter la tâche, je récupérai le premier petit mot qu'il m'avait donné, avec toute ma commande, pour qu'il m'indique ce que c'était.
- Ah d'accord, le brownie alors... Et toi t'as pris quoi ?

Rei s'était attendu à une visite banale comme ce fut le cas avec Alexandre : il serait resté 5 minutes, aurait tenté la conversation puis serait finalement parti... et voilà que finalement, l'autre proposait de partager son achat avec lui. Eh bien, il y avait vraiment des cas particuliers parmi les clients. Enfin, Rei n'était pas contre, si ça faisait plaisir au client et l'incitait à revenir à l'occasion.

Noah s'installa alors par terre et fit signe à Rei de le rejoindre. Le boulanger s'exécuta, même s'il aurait pu apporter deux chaises et une table, ça aurait quand même été plus propre. Le blond ouvrit alors la boite.

« Vas-y, à toi l'honneur ! »

bon... que choisir... Rei observa les pâtisseries dans le carton et opta pour le pain au chocolat : il allait laisser le plus cher au blond. Le pain au chocolat, c'était le truc le moins cher qu'il aie avec les croissants. Le blond prit alors un brownie et...

« Et celui-là, c'est quoi ? Ah, attends ! »

Il attrapa le mot de Rei. Le boulanger devina sans mal que cet homme avait une culture patissière très limitée. Il fallait corriger ça.

«  Ah d'accord, le brownie alors... Et toi t'as pris quoi ? »

Rei tapota le mot « pain au chocolat » sur le papier puis rajouta en dessous, au crayon « bouge pas, je reviens ». Sur ce, le boulanger reposa la patisserie dans le carton puis s'en alla dans sa cuisine chercher un carton avant de revenir en boutique et prendre un exemplaire de chaque patisserie ainsi que les étiquettes et déposa le plateau devant le blond. De toute façons, il y aura plein d'invendu aujourd'hui. Il reprit place et écrivit sur le papier :

« Je vais faire ta culture en matière de pâtisserie. Tu vas me goutter chaque pâtisserie. T'as rien à payer, de toutes façons je doute avoir beaucoup de clients aujourd'hui »

Il y avait vraiment de tout : des brownies, des napolitains, des tartelettes, des religieuses, des éclairs, des chaussons, des forêt noires, des quatre quarts... vraiment de tout. Et tout ça c'était pour le moulin à paroles.

« Bouge pas, je reviens »
Oh ça, j'avais pas l'intention d'aller bien loin. Je croquai timidement dans le brownie puis fit fondre le chocolat dans ma bouche, c'était si tendre et délicieux, je pus m'empêcher de pousser un "Mmmmh..." comblé. Vraiment, si tout ce qu'il y avait dans la boîte était aussi bon, je risquais de revenir souvent.

Je finissais d'engloutir mon brownie quand Rei revint à sa place avec un plateau, avec plein d'autres trucs. Bah, il était bien mignon mais j'avais plus de quoi lui prendre tout ça, moi.
« Je vais faire ta culture en matière de pâtisserie. Tu vas me goutter chaque pâtisserie. T'as rien à payer, de toutes façons je doute avoir beaucoup de clients aujourd'hui »
En lisant ça, je fus si surpris que je manquais de m'étouffer avec mon brownie, et la bouche encore encombrée je lançai un "Sérieux ?!" tout juste compréhensible. Je finis ma bouchée en vitesse et me jeta sur le boulanger pour le serrer contre moi de toutes mes forces.
- Merci, merci, merci ! C'est trop cool et tes gâteaux sont délicieux, t'es un super pote !!

Je me repris juste avant de lui dire "je t'aime" et replongeai mon nez dans les pâtisseries étalées devant moi, les yeux pétillants et encore un bout de chocolat au coin des lèvres que je pris le soin d'essuyer avec ma langue. Il avait même pris les étiquettes pour que je sache ce que je mangeais, c'était magnifique j'aurais pu pleurer de joie, quel type admirable !
J'optai en fin de compte pour la religieuse au chocolat. Même si je ne pus m'empêcher de me demander pourquoi ça s'appelait comme ça... Je plantai mes dents dans la pâte et découvrit qu'elle cachait encore du chocolat.
- Mais... comment t'as fait pour mettre la crème dedans ? C'est magique ! dis-je ébahi avant de me fourrer la religieuse dans le fond de mon gosier.

Bon, le chocolat c'était bien, mais il faudrait peut-être que je tente autre chose. Et la tartelette aux fraises attirait subtilement mon regard. Doucement je la saisis et la soulevait jusqu'à moi pour renifler son arôme et contempler sa beauté, c'était comme si les petites fraises posées dessus brillaient tant elles étaient rouges. Je croquai une nouvelle fois à pleines dents sans pouvoir me débarrasser de mon sourire qui trahissait ma béatitude.
- J'arrive pas à croire que j'ai pu passer 18 ans de ma vie sans connaître ça ! déclarai-je comme à moi-même en reprenant une autre pâtisserie.

A peine Rei eut-il déposé le plateau que Noah, qui a lu le message, se jeta sur lui.

« Merci, merci, merci ! C'est trop cool et tes gâteaux sont délicieux, t'es un super pote !! »

Heu... pote ? Ce mec allait trop vite pour lui. Non franchement il était gentil, mais il parlait beaucoup trop et était trop émotif, ça faisait assez peur. Toujours est-il que son « nouvel ami » se plia à ses désirs et commença à manger les patisseries, à commencer par la religieuse au chocolat... la réaction fut assez surprenante quand même.

« Mais... comment t'as fait pour mettre la crème dedans ? C'est magique ! »

ben... il a suivi la recette. Il croyait quoi ? Décidément, ce petit gars n'avait pas l'air de connaître quoi que ce soit à l'art de la patisserie.

« J'arrive pas à croire que j'ai pu passer 18 ans de ma vie sans connaître ça ! »

D... dix huit ans ? Non mais attends ! Même Rei, qui a tout oublié ou presque de son Avant, était arrivé à Espérance en sachant ce qu'était la patisserie ! Qu'est-ce qu'il a bien pu vivre pour ne rien connaître aux joies d'un pain au chocolat ? A la délicate odeur d'un gâteau ? Au goût subtil d'une tarte au citron meringuée ? Non, ça ne pouvait pas exister des gens comme ça, ça ne DEVAIT PAS exister !

Rei prit son carnet et griffona un nouveau mot.

« Qu'est-ce qui t'es arrivé pour que tu n'aie jamais pu goûter un simple gateau ? C'est triste que tu n'aie jamais eu accès à une pâtisserie, quand même. »

Oui, c'était franchement triste...

« Qu'est-ce qui t'es arrivé pour que tu n'aie jamais pu goûter un simple gâteau ? C'est triste que tu n'aie jamais eu accès à une pâtisserie, quand même. »

Ça c'était une bonne question. Je ne me souviens de rien de mon Avant, et en même temps, j'ai l'impression de me souvenir de tout. J'ignore même si j'aurais envie de savoir ce qu'était mon quotidien, quand j'y pense ça me fait peur. Je sens comme un arrière-goût amer au sentiment que je ressens à ce sujet.
- Bah, si c'était qu'avec les pâtisseries. dis-je tristement. Mais peu importe, j'aime pas parler de ça, et d'ailleurs j'ai rien à en dire.

J'allais pour reprendre quelque chose mais remarquai que la boîte était déjà à moitié vide. Je décidai alors de la refermer pour me convaincre de ne plus y mettre la main et jetai un œil dehors. Le silence qu'il y avait maintenant était certes court mais ses plus pesants. J'aurais aimé lui retourner la question mais devoir répondre alors qu'il n'en avait pas les moyens n'était-il pas trop gênant ? Certes il se débrouillait avec un papier mais bon.

Les minutes passaient, ou peut-être étaient-ce des secondes qui s'avéraient étrangement longues ? J'aurais voulu dire quelque chose mais je n'en avais soudainement plus envie, sentant un pincement au cœur me macérer la poitrine. Je ramenai mes genoux contre moi et les enlaçai en posant ma tête dessus. J'avais soudain cette envie de rester là, dans cette position pour un bout de temps, mais je me réveillai bien vite, secouant la tête en me disant que cette façon d'agir ne m'allait pas. J'étais Noah, le type joyeux et sympa.

- Eh Rei, toi si tu parles pas, c'est parce que tu peux pas ou parce que tu veux pas ?

Incroyable, Rei n'aurait jamais cru voir un jour une personne qui ignorait ce qu'était un pâtisserie. Encore dans un pays pauvre comme un pays Africain ou un truc du genre ça paraissait normal mais... à Espérance ! Ce mec semblait être bien portant, pourtant, il a forcément du manger un croissant durant son existence,non ?

« Bah, si c'était qu'avec les pâtisseries. Mais peu importe, j'aime pas parler de ça, et d'ailleurs j'ai rien à en dire. »

Ah... Rei a touché un point sensible, semblerait-il. Il s'en voulait : loin de lui l'idée d'évoquer des histoires douloureuses. En même temps, il était vraiment bête de parler de l'Avant ! Ce n'était pas un sujet tabou mais rare étaient les personnes qui voulaient parler d'une vie qu'ils ont oublié et comprenaient pour beaucoup des images douloureuses. L'abruti ! Rei s'en voulait vraiment d'avoir posé une question aussi conne.

Noah referma alors la boite de pâtisserie. Peut-être Rei lui avait-il coupé l'appétit ? Mais quel idiot il était ! Il s'en voulait encore plus maintenant ! Et le silence s'installa, lourd et opressant comme la trompe d'un éléphant qui tente de vous broyer. Noah était par terre, roulé en boule, et Rei ne savait quoi dire (ou du moins écrire). La scène était figée et il aurait pu s'écouler une éternité, mais le blond reprit la parole.

« Eh Rei, toi si tu parles pas, c'est parce que tu peux pas ou parce que tu veux pas ? »

Ah... précisément le genre de question à laquelle Rei n'aimait pas répondre... mais ce n'était que justice après ce qu'il lui avait demandé tout à l'heure. Aussi attrapa-il son crayon et son carnet pour lui répondre, pesant soigneusement chacun de ses mots.

« Je ne suis pas physiquement incapable de parler, c'est juste que mon entrave m'en empêche. »

Voilà, c'était dit. Il n'en avait ni trop dit, ni pas assez. Maintenant, il fallait voir si Noah allait en remettre une couche ou pas...

Mais le silence qui s'installait, Rei le connaissait bien. C'était la gène, puis soit l'interlocuteur trouvait quoi dire, soit il s'en allait...

« Je ne suis pas physiquement incapable de parler, c'est juste que mon entrave m'en empêche. »

Mince alors. Qu'est-ce qu'il voulait dire par là ? Je fronçai les sourcils en essayant de visualiser le problème. En fait, il pourrait parler, mais son entrave l'en empêche ? Donc c'est comme si... oh, bizarre. Peut-être qu'il est genre hyper complexé par sa voix et que du coup il évite de parler ? J'haussai les épaules, j'ignorais si ça valait le coup d'en remettre un couche avec cette affaire, mais autant en rester là, l'ambiance était déjà pas terrible.
En fait, je remarquai que j'avais refermé la boîte de gâteaux parce que sinon j'allais être gavé très vite. Mais peut-être que Rei en voulait, lui. Mais quel imbécile égoïste je pouvais être. Je montrai la boîte.

- Pardon, tu en voulais encore peut-être ? J'en ai assez mangé pour le moment. En tous cas toutes ces pâtisseries sont très bonnes ! Je reviendrai sûrement t'en prendre à l'avenir.

Quand je disais cela, je le pensais vraiment. C'était comme une explosion de saveurs sucrées qui fondaient en bouche. Quand je rentrerai, je réessaierai de refaire quelque chose en suivant les recettes les plus faciles.

- Hey, si je faisais un gâteau, tu le goûterais pour me donner ton avis ? lui demandai-je soudainement.

J'avais retrouvé mon humeur guillerette. D'ailleurs, c'était bien plus agréable que de se morfondre sur quelque idée abstraite de son passé. Je pense qu'il en serait de même pour Rei, je lui avais posé cette question et la réponse ne m'avait pas bien avancé, mais quelque part cela m'arrangeait.
Je trouvais ça assez dommage cependant, s'il pouvait parler à nouveau ça lui faciliterait sans doute la vie. Je me demande s'il sait pourquoi il ne parle pas. Mais bon, assez de questions indiscrètes pour aujourd'hui, une prochaine fois peut-être.

Rei avait horreur de ce genre de choses. Parler de son mutisme était tout sauf agréable, il avait l'impression d'être... inférieur aux autres avec ça. On prenait rarement le temps de lui parler, on se souciait peu de lui... non franchement, il n'aimait vraiment pas cette situation. Enfin, ce n'était que justice si Noah lui a posé cette question arpès ce que LUI lui a demandé. Pouvait-il seulement escompter le pardon ? Peut-être, maintenant qu'ils étaient quittes.

« Pardon, tu en voulais encore peut-être ? J'en ai assez mangé pour le moment. En tous cas toutes ces pâtisseries sont très bonnes ! Je reviendrai sûrement t'en prendre à l'avenir. »

Rei secoua la tête en signe de négation. S'il en revoulait, il pouvait attendre la fin du service et en piocher parmi les invendus. Ca lui arrivait de temps à autres.. pour ne pas dire tous les jours, en fait. En tout cas, ça faisait plaisir de savoir qu'il avait gagné un client malgré ce qui venait de se passer.

« Hey, si je faisais un gâteau, tu le goûterais pour me donner ton avis ? »

Tiens, c'était pas banal, ça. C'était la première fois qu'on lui proposait ça en fait. Non pas que ça le dérange, ça le flattait même qu'on lui demande son avis sur la qualité d'une pâtisserie. Il s'y connaissait, après tout, et guider cette âme innocente sur la voie de la découverte de la pâtisserie serait un plaisir pour lui, pour une fois qu'il pouvait se rendre utile !

Aussi attrapa-il son carnet et son crayon pour lui adresser un simple :

« je veux bien. Si tu as besoin d'aide, hésite pas à me demander ».

Ouais, il allait pouvoir se rendre utile maintenant, bien plus simplement qu'en vendant des gâteaux à qui en voulait.

Le bruit sourd que l'on avait entendu pendant près d'une demi-heure finit par cesser. Doucement, tendrement, le cliquetis agressif de la pluie s'estompa, et la lumière du soleil perça les nuages.
Rei avait accepté de m'aider si je me mettais à la pâtisserie, et je l'en remerciais. Je me relevai pour me préparer à partir, m'étirant scrupuleusement et m'époussetant sommairement. J'en profitai d'être debout pour tendre ma main au pâtissier et le faire se redresser.

- Bah, c'était bien sympa, je vais pas squatter plus longtemps. Mais ne t'inquiètes pas, tu devrais me revoir ! J'espère juste qu'on ne sera pas coincés tous les deux à chaque fois. Ah, non que ta compagnie soit désagréable mais, tu vois, je suis du genre très occupé ! Ha ha ha !

Je récupérai la boîte encore posée à même le sol, elle avait perdu de son poids initial. Je me demandai si je les mangerais tous seuls, je pourrais peut-être trouver quelqu'un avec qui en partager le reste. Comme... une jolie demoiselle qui aime les choses sucrées ! Ah... Oui ce serait bien je suppose, les filles aiment ce qui est sucré en général, je pourrais peut-être en attirer quelques unes ! En fait, ça doit être plutôt pas mal côté drague le boulot de boulanger... Je jetai un regard jaloux à Rei qu'il ne dût pas comprendre avant de sourire.

- Allez, à la prochaine vieux ! Assure-toi de remplir tes stocks d'ici là !

Je sortis en lui faisant un signe de main, tenant de l'autre ma boîte à trésors, pour respirer l'air frais et goûter à la lumière du soleil qui faisait sa première apparition de la journée. Quelques nuages persistaient, aussi il aurait certainement pu se remettre à pleuvoir à chaque instant. Je décollai de l'endroit alors que les gens recommençaient à s'agiter au dehors et repartis en quête de nouvelles aventures.