Réajustant le trait, appuyant sur la mine, Louve pencha la tête pour vérifier que cela correspondait bien à ce qu'elle voyait. Dessiner ne lui avait jamais paru particulièrement complexe, mais il été des fois où elle n'arrivait pas à faire écho à la réalité à travers ses lignes tracées. Elle n'eut cependant pas le temps d'y songer d'avantage que déjà s'immiscer dans son champ de vision une chevelure ébène, attirée par les bonbons comme les abeilles par le parfum des fleurs. Un "o" de surprise s'imprima sur le visage de la blonde, jusqu'à ce que son interlocutrice s'arrête pour laisser place à ses réflexions qu'on se fait si souvent lorsqu'on est plus jeune et qu'on oublie de poser avec l'âge.

La voix fluette s'enquit avec l'innocence de sa propriétaire du "pourquoi", lui arrachant un rire franc et clair.

-Bonjour toi! J'aurais dû me douter qu'avec des bonbons dans la pièce je finirais par te voir aujourd'hui!

Louve se redressa un peu, après lui avoir fait signe de la main pour qu'elle la rejoigne.

-Tu as raison Camélia, c'est bien mieux de les manger, mais... Elle laissa un bref silence ponctuer le propos, juste le temps de déposer doucement un baiser sur la joue de sa vis à vis pour la saluer ...je voudrais apprendre aux nouveaux les formes et les couleurs. Alors je me disais que ça serait plus drôle de le faire avec de la peinture et des bonbons.

Elle lui fit un clin d'œil, et appuya à peine sur le bout du nez de la brunette.

-Comme ça on pourra les manger après, tous ensemble.

Louve fixa brièvement son regard bleuté sur la coupe colorée, jugeant encore des différences entre son œuvre et le reste puis la reporta presque aussitôt sur la belle.

-Qu'est-ce que tu en penses? Tu crois qu'ils vont mettre de la peinture partout? S'enquit-elle sur un ton un peu taquin, ne connaissant que trop bien le péché mignon de Camélia.

La demoiselle fit mine de réfléchir, laissant sa tête balloter un peu, et ses cheveux lui effleurer les joues.

-Mm. Je ne sais pas. Tu as été sage? Interrogea-t-elle espiègle. Tu peux toujours leur demander. J'ai un cours demain dans la matinée. Tu te feras peut-être de nouveaux amis comme ça.

Puis devant l'expression artistique de Camélia elle ne put retenir une moue amusée.

-Quelle idée! Tu essayes vraiment de manger des bonbons à toutes les sauces!

Elle plaça une main devant sa bouche pour étouffer un petit rire, puis reprit contenance et après avoir secoué la tête, la regarda avec une douceur infinie.

-Je pensais pourtant t'avoir appris que la peinture ne se mangeait pas. Rassures moi, tu n'as pas fait trop d'autres expériences de ce genre?

Sans trop savoir pourquoi, la blonde ne doutait aucunement du fait que la jeune fille aime tant les bonbons qu'irrépressiblement il puisse naître en elle un besoin irrésistible de l'associer à la majorité de ce qu'elle appréciait. Ce qui en soi, n'était pas forcément une excellente idée.
Avisant le panier elle s'enquit curieuse en mettant le crayon un peu en avant. Comme pour le lui tendre.

-Tu veux essayer? De dessiner des bonbons... A moins que tu ne sois venue me voir parce que tu avais besoin de quelque chose? Réalisa-t-elle soudain, sans se défaire de sa bonne humeur.

*Des bonbons avec du jus de pomme?* Louve fit la moue mais ne dit mot. Se contentant de lever brièvement les yeux au ciel avant de sourire. Décidément, il n'y avait vraiment que Camélia pour avoir de telles idées!

Le crayon dans sa main disparut ensuite pour entamer une valse sur la toile tendue voisine, et sans paraître éprouver quelques difficultés que ce soient, Camélia se mit à dessiner, le plus naturellement du monde. Comme si pour elle cela allait de pair avec le fait de respirer. Elle en fut un peu surprise, car si la blonde savait que la demoiselle aimait cette activité, elle n'avait jamais particulièrement porté attention à l'aisance qui semblait se dégager d'elle à ce moment-là.
Troublée, elle ne vit pas venir la question piège de l'enfant et se retrouva un peu bête, avant qu'un frisson ne lui parcoure l'échine. Son visage se referma, laissant passer une expression d'inquiétude forte. Son regard se fit lointain et dans sa tête résonnait une voix rauque dont elle ignorait la provenance. Connaissait-elle seulement son propriétaire? D'autres cris plus stridents lui faisaient également écho. Mais là encore elle ignorait tout.
Machinalement, elle reprit son pinceau, se tourna vers sa toile et plongea l'objet dans la peinture rouge qui gisait à côté du chevalet.

-Je ne sais plus. Lâcha-t-elle sans cérémonie. Comme si son corps ne lui appartenait désormais plus, et qu'elle n'avait cure à présent de ce qui l'environnait.

Le pinceau d'un geste fluide, coloria un bonbon avec application, tandis qu'elle poursuivait d'un ton neutre, presque similaire à un automate.

-Je ne m'en souviens pas. Enfin très peu. La blonde s'arrêta un temps, son corps figé aurait pu laisser à penser qu'elle tentait de jouer à un deux trois soleil, à un détail près: le léger tremblement de sa main. Un silence suivit, durant lequel elle se demanda s'il fallait poursuivre mais un soupir fut la seule conclusion qu'elle apporta au sujet. J'avais mal...très mal. Un peu partout. Je crois que je n'étais pas très heureuse "avant", mais je ne sais plus pourquoi. Ni s'il y avait des gens autour de moi qui ont essayé de changer ça.

Avec une lenteur quasi provocatrice, elle acheva de peindre le bonbon, et alors qu'elle contemplait la nature morte, Louve réalisa tardivement, qu'il n'y avait dans la coupe aucun bonbon de couleur pourpre. Un nouveau soupire franchit la frontières de ses lèvres cerises et elle posa le tout sur la table voisine. Ses mains glissèrent sur son visage, s'y arrêtèrent pour le recouvrir quelques secondes, puis remontèrent jusqu'à ses cheveux avant de tomber sur sa nuque. Alors seulement la belle sembla être à nouveau elle-même et confia à son interlocutrice dans un haussement d'épaule.

-Peut-être que je me trompe aussi, mais comme je ne me souviens que de ça...

Louve n'aimait guère parler de "l'Avant" mais tentait toujours de répondre aux questions qu'on lui posait sur le sujet. Comme si cela pouvait faire revenir en elle quelque chose de plus précis selon les personnes avec lesquelles elle l'évoquait. Mais à part ajouter plus de cris rien ne semblait sortir de son abyme de souvenirs.

-Tu te souviens de ta vie "passée", toi Camélia? Elle encadra le mot entre ses doigts en les pliants, comme pour former des oreilles de lapin.

L'expression la laissait d'ailleurs toujours perplexe. Etaient-ils tous morts? Attendaient-ils quelque part un jugement quelconque? Fallait-il franchir les murs d'Espérance ou "vaincre le Reflet" pour connaitre enfin la vérité?

Louve vit bien que son récit avait troublé Camélia, comme beaucoup de personnes avec qui elle l'évoquait de toutes façons, mais elle n'en toucha mot à la belle qui de surcroît s'appliquait déjà à lui conter son passé. Un haussement de sourcil naquit sur son visage quand la demoiselle déclara qu'ici elle était grande. Louve tiqua. Ainsi donc, le passage d'Espérance à l'Avant pouvait aussi avoir des répercussions physiques? Pourtant ils semblaient tous être plus ou moins dans la même tranche d'âge en général. Même pour elle qui comptait parmi les plus avancés en âge. Comment cela était-il possible?

Mais Camélia enchainait, lui décrivant sa vie, ses troubles aussi et avant même qu'elle ait pu dire ou faire quoique ce soit, elle fut nue et reprit là où elle s'était arrêtée dans sa toile. Louve était habituée à ce qu'elle fasse ça et ne lui en tint pas rigueur. D'autant que là c'était un peu de sa faute. Il était rare qu'elles parlent toutes deux de l'Avant. Que la brunette réagisse ainsi était donc des plus légitimes.

-Tu veux boire un peu d'eau? Proposa-t-elle, et sans réellement attendre de réponse, se leva pour aller au fond de la salle, chercher deux verres.

*Elle aurait vécu un incendie?* La blonde détailla l'enfant *Pourtant il n'y a aucune trace apparente de brûlures sur son corps. S'agissait-il uniquement d'un cauchemar? A moins que ça ne soit dû à son arrivée ici?*

Le robinet toussota un peu dans un grincement enroué et fini par laisser jaillir de l'eau clair. Elle remplit les récipients. Songeant qu'après tout, même si la belle ne souhaitait nullement boire, elle n'avait pas d'eau pour sa peinture, et aurait du mal à changer de couleur au bout d'un moment.

-Il y a autre chose que tu n'aimes pas? S'enquit-elle en posant le verre à côté de l'enfant avant de s'éloigner pour s'adosser à un bureau en croisant les jambes, laissant son regard azur parcourir la salle vide, où les pupitres semblaient dormir dans un silence religieux. Mis à part être enfermée j'entends.

*Ça n'a pas dû être facile pour une si petite fille de rester cloitrée chez elle* Son esprit vagabonda un peu, même si elle savait que la question n'était pas évidente, elle sentait Camélia capable d'y répondre sans paniquer et Louve réalisa tardivement que jusqu'à présent, toutes les personnes avec qui elle avait évoqué l'"Avant" semblaient ne pas avoir eu une vie particulièrement joyeuse. *Serait-ce un critère particulier dû à Espérance?*

-Est-ce qu'il y a des choses que tu voudrais faire ici et que tu ne pouvais pas faire chez toi?

La blonde ignorait si parler de ce qu'elle envisageait être du passé, pouvait être présenté ainsi, comme s'il n'y avait aucune chance pour qu'il se reproduise dans le "présent" était une bonne chose. Mais elle n'avait trouvé que ça. De plus, elle ne voulait pas fuir. Pas dans son quotidien à Espérance.

Louve esquissa un sourire en entendant la liste noire de Camélia : ça ne concernait que la nourriture. Quelque part cela ne l'étonnait pas tant que ça, la brunette avait des désirs plutôt simples et ne s'encombrait pas l'esprit avec des choses tierces. Du moins c'est ce qu'elle songea avant de réaliser qu'elle était bien loin du compte en l'entendant parler de son père.

C'était infime mais il y avait une trace de tristesse ancrée au fond de ses yeux rieurs qu'elle connaissait si bien. Un bref instant, la blonde s'en voulu de lui avoir fait penser à des choses négatives mais la concernée semblait plus inquiète en réalité pour son géniteur que pour elle, en dépit de ses mots.

-Ou peut-être qu'il sera si heureux de te revoir qu'il ne fera rien de tout ça? Après tout tu n'as rien fais ni de mal, ni de dangereux. Du moins pas à ma connaissance.

Etait-ce une bonne chose de laisser supposer que tout pouvait redevenir "à la normale"? Etait-ce seulement possible? Louve l'ignorait. Mais voir Camélia ainsi lui serrait le cœur. Qu'adviendrait-il s'il s'avérer que comme leur arrivée à Espérance, il pouvait y avoir un départ qui sans crier gare les éloigne les uns des autres? Cette pensée la fit frissonner mais elle afficha un sourire rassurant pour la demoiselle.

-Sinon je lui dirais que tu as été très sage. De sa démarche féline, en quelques pas, elle l'avait rejointe et lui ébouriffait un peu les cheveux, avant de contempler sa toile. Et puis tu n'as pas à t'excuser d'être heureuse non plus. Même si pour l'instant c'est sans ton papa.

Ces iris azurs passèrent sur la toile.

-Tu t'améliores on dirait. Tu avais déjà un sacré coup de crayon, mais là, tu as fait des progrès fulgurants dernièrement. C'est parce que ce sont des bonbons que tu t'appliques autant?

Louve s'étira un peu, après avoir posé le verre sur un coin de table, et machinalement pencha la tête sur le côté, puis posa une main sur son ventre.

-Je crois que je commence à avoir faim. Lâcha-t-elle en tirant un peu la langue. Après tout cela faisait un moment qu’elle peignait des bonbons, alors parler de nourriture en plus…

Navrée pour ce retard incommensurable ! Je ne sais pas pourquoi mais dans ma tête on avait bouclé le sujet ^^"


La blonde sourit de plus belle et acquiesça.

- D'accord, je crois qu'on a bien mérité une petite pause.

Elle se leva et alla ramasser les vêtements de la jeune fille, refit le chemin en sens inverse, s'accroupit près d'elle, la chatouilla pour lui faire lever les bras puis les lui enfila sans autre forme de procès. Pour pallier à toutes remarques mécontentes et anticiper un éventuel refus elle ajouta :

- Je sais que tu n'aimes pas être habillée mais tu ne peux pas sortir ainsi pour aller manger alors voilà ce que je te propose : allons au réfectoire, s'il y a des épinards je mangerais la majorité de ta part, et on repassera ici chercher des bonbons en dessert quel que soit le menu, mais il faudra que tu restes habillée tout le reste de l'après-midi, okay ?

Elle se redressa, passa une main dans les cheveux de Camélia pour les lui ébouriffer un peu et sourit, penchant la tête sur le côté avant de s'enquérir :

- Marché conclu Miss ?

Ses iris bleutés virent se planter dans ceux de sa vis-à-vis, sans ciller, même si elle savait que ce qu'elle lui demandait n'était pour elle pas des plus évident.